Du mariage gay religieux

La promulgation de la loi ouvrant le mariage aux homosexuels ce samedi 18 mai 2013 a permis à la France de redorer ses frontons. Avec un peu de retard comme à son habitude : la France n’innove plus guère en matière d’humanisme depuis… les Lumières ?
Bref rappel historique. Le droit de vote des femmes ? 1945, neuf ans après l’Iran. La légalisation de la contraception ? 1967, quand de nombreux pays ne l’ont jamais interdite. La légalisation de l’avortement ? 1975, vingt ans après l’Union Soviétique. ((Légalisé en 1920 sous Lénine, il fut interdit par Staline en 1936, puis rétabli en 1955 après sa mort.)) L’abolition de la peine de mort ? 1981, douze ans après le Vatican. ((Sigh.))
Le mariage gay ? Sept ans après l’Afrique du Sud.
Le droit à l’euthanasie ? Euh… joker. Pourquoi prendre des mesures avant-gardistes ? Attendons qu’il soit au moins autorisé en Corée du Nord.

Les débats ont quelque peu mis à mal la Fraternité, mais l’Egalité reprend des couleurs. ((La Liberté se porte plutôt bien, merci.))

 

Que quelques intégristes aient défilé le 13 janvier ((J’avais piscine ce jour-là, mais ai pu effectuer mon devoir de citoyen responsable en manifestant quinze jours plus tard.)) pour s’opposer à ce que des rescapés de Sodome et Gomorrhe puissent obtenir les mêmes droits qu’eux, c’est dans l’ordre des choses. Méprisable, mais cohérent : ils sont homophobes, et l’assument. En revanche, comprendre cette légion d’autoproclamés non-homophobes bardée d’amis gays ((Un bon moyen de reconnaître un raciste honteux ? Il proclame haut et fort avoir plein d’amis noirs. Et quand une de ses vagues connaissances l’est réellement, il l’exhibe à tout venant. Un ami alibi de circonstance qui lui permettra de déverser sa bile sur les « gens de couleurs » – euphémisme employé ici comme déguisement.)) catégorique sur le fait qu’un couple d’amoureux de même sexe ne devrait pas pouvoir procréer, je n’y arrive pas. Homophobes et hypocrites. « Je ne suis pas raciste, mais dans les tribunaux, je constate qu’il y a beaucoup de bronzés ». « Je ne suis pas homophobe, mais deux femmes voulant fonder une famille, c’est contre nature ». Même rhétorique. Même bêtise crasse.

Si les homophobes volaient, le ciel serait bleu blanc rose.

Durant toute cette campagne, je n’ai pas entendu un seul argument recevable – pas un ! – de la part des détracteurs au projet de loi. Mais passons.

Vous aurez compris que je suis en faveur du mariage ouvert à toutes les personnes mutuellement désireuses d’en contracter un. Qu’elles soient deux ou plus ((Je ne parle pas ici de polygamie ou de polyandrie, mais bien d’un minimum de trois personnes contractant un mariage ensemble : chacune des trois personnes épouse les deux autres. Le nombre de sexes différents chez l’humain étant relativement limité, il y a de fortes chances pour qu’au moins deux des trois individus soient de même sexe. Toutes mes excuses aux opposants du mariage pour tous pour cette fausse joie.)), ou moins. De même sexe ou pas. Je suis pour la PMA pour tous. Et alors que je n’avais pas d’avis tranché sur la question, les anti-mariages m’ont ouvert les yeux ((Mais si, souvenez-vous de leur raisonnement par l’absurde. « Vous voulez le mariage pour tous au nom de l’Egalité, mais dans ce cas il vous faudra accepter la PMA pour les couples de femmes – au nom de l’égalité vis-à-vis des couples hétéros qui y ont accès, puis la GPA pour les couples d’hommes – au nom de l’égalité vis-à-vis des couples lesbiens. Or la GPA c’est pas bien, donc le mariage pour tous c’est pas bien. » J’ai raisonné à l’inverse. Le mariage pour tous étant une évidence, s’il conduit naturellement à la GPA, c’est que la GPA est dans l’ordre des choses. CQFD. Merci les anti-mariages pour cette lumineuse démonstration.)) : je suis pour la GPA pour tous. D’une manière générale, je suis pour l’égalité des droits et devoirs de tous les citoyens, tel qu’énoncé à l’article I de notre constitution.

 

Là n’est cependant pas l’objet de ce billet. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est l’ouverture du mariage religieux aux mêmes populations que le mariage civil. Chez les laïcs, et au sein du clergé.

La France entre dans le 21ème siècle, il serait temps que les églises du monde sortent du 19ème : autant faire un grand saut plutôt qu’un petit pas.

 

Voyons très rapidement le cas du bouddhisme, en marge des autres grandes religions.
Selon la tradition bouddhiste, le mariage est une relation humaine reconnue par les amis et la famille. Aucune cérémonie n’est nécessaire, même si le couple concerné peut annoncer officiellement qu’ils vivent ensemble, et organiser une petite sauterie histoire de marquer le coup : le mariage réside dans le fait de vivre ensemble. Les moines donnant leur bénédiction aux époux ne font que reconnaître le mariage, ils ne le créent pas.
A ma connaissance, le bouddhisme ne fait par ailleurs pas de distinctions particulières entre relations homosexuelles et hétérosexuelles.
A mon grand dam, le mariage entre deux individus de même sexe est donc une réalité de fait dans le bouddhisme. J’en serais presque frustré. Mais je m’incline, force est de constater que certaines religions peuvent présenter des semblants d’humanisme. Dont acte.

Fort heureusement, les religions du Livre sont là pour nous rappeler le sens du mot « archaïsme ».

 

Le judaïsme est à ma connaissance la seule religion qui autorise explicitement l’homosexualité masculine. Lisez vous-même :

Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme.
Lévitique 18:22.

Cette phrase est souvent perçue à tort comme une condamnation de l’homosexualité. Pourtant, la condamnation explicite aurait été, s’adressant à un homme : « tu ne coucheras pas avec un homme ». Point. La signification de la phrase complète me semble claire, et tout aussi explicite : en tant qu’homme, tu peux coucher avec un homme, mais tu dois être bien conscient qu’un homme n’est pas le substitut d’une femme. Ce dont conviendront volontiers l’immense majorité des hommes qui aiment les hommes, faisant parfaitement la différence entre un homme et une femme.
Mon interprétation diffère en cela de celle du rabbin Gabriel Farhi, qui considère qu’il ne s’agit pas d’une condamnation de la sexualité entre hommes, ce en quoi je le rejoins, mais uniquement d’une condamnation de la pénétration anale, autorisée avec une femme. Ce dont je disconviens. Selon moi, si condamnation il y a, il ne s’agit que de la pénétration vaginale entre hommes. Suffisamment faible pour être négligée. Les homosexuels peuvent s’égayer tranquilles en terre promise.

Vous noterez également que si la Torah se révèle étonnamment tolérante envers l’homosexualité masculine, elle aurait d’énormes progrès à faire ((Le texte est figé, certes. Mais toujours soumis à perpétuelle interprétation non ?)) en matière de féminisme : elle ne s’adresse qu’aux hommes. Mais puisqu’elle ne s’adresse guère aux femmes, et n’évoque pas l’homosexualité féminine, on peut considérer qu’elle ne la condamne pas. Puisque ce qui n’est pas interdit est autorisé… Les homosexuelles peuvent s’égayer tranquilles en terre promise.

Célébrer des mariages gays chez les juifs ne devrait donc être qu’une formalité. A l’heure où j’écris ces lignes, le pas a été franchi. En Suède, par des réformistes, certes ; mais c’est un début.

 

Chez les musulmans aussi, un ersatz de mariage gay a été célébré religieusement.
Car si l’Islam peut apparaître largement arriéré en matière de tolérance à l’homosexualité, il possède une faiblesse qui se révèle ici une force : l’absence de califat. Aucune structure centrale qui puisse déterminer sans équivoque la position de l’Islam sur tel ou tel sujet de société. Les voix sont multiples, les interprétations divergent, la discussion ouverte. L’Islam pratiqué en Indonésie diffère de celui pratiqué en Arabie Saoudite, en particulier sur les sujets LGBT.

Et certaines voix s’élèvent qui sont progressistes.

Celle de Tareq Oubrou, imam de Bordeaux : « aucun texte univoque, authentique, ne fait mention d’une quelconque sanction contre les homosexuels. ».

Celle d’Abdel Nour Brado, représentant de la Junta Islamica de Cordoue : « il n’y a dans le Coran aucune référence contre l’homosexualité. Il faut débattre de ce sujet entre nous et comprendre que célébrer des mariages religieux entre gays serait la meilleure réponse des musulmans vivant en occident à ceux qui persécutent les homosexuels dans le monde musulman. »

Le salut viendra, j’en suis persuadé, des musulmans occidentaux, qui sauront peu à peu imposer leur ouverture d’esprit aux musulmans du monde entier.

 

Voyons le cas des catholiques. Si quelques églises anglicanes ou protestantes bénissent des couples de même sexe, chapeau bas, elles restent isolées.
L’église catholique romaine en particulier, obnubilée par la chasteté qu’elle demande à ses fidèles, conserve ses œillères. Vis-à-vis de la contraception, du préservatif, de tous les actes dont découlent un plaisir charnel, à fortiori de tout acte sexuel ne visant pas explicitement à la procréation. Les personnes homosexuelles doivent être « accueillies avec respect, compassion et délicatesse ». C’est toujours bon à prendre. Mais elles doivent être remises dans le droit chemin, celui de la chasteté. Il ne saurait y avoir relations hors mariage, et par une extraordinaire coïncidence, les chrétiens de même sexe n’ont pas le droit de se marier entre eux à l’église. La nature est bien faite tout de même.
Surtout, les actes homosexuels restent contre nature. Quelle hérésie ! Trouvez-moi dans la bible une seule phrase condamnant l’homosexualité. Vous n’en trouverez pas, pour cause : il n’y en a pas.

Si Sodome a été détruite, ce n’est point en raison des pratiques sexuelles de ses habitants…

Voici quel a été le crime de Sodome, ta soeur. Elle avait de l’orgueil, elle vivait dans l’abondance et dans une insouciante sécurité, elle et ses filles, et elle ne soutenait pas la main du malheureux et de l’indigent.
Ezechiel, 16:49 (Version Louis Segond 1910)

…mais bien parce que leurs occupations matérielles les éloignaient de leur dieu jaloux :

Les hommes mangeaient, buvaient, achetaient, vendaient, plantaient, bâtissaient
Luc, 17:28 (Version Louis Segond 1910)

Accessoirement, quand les sodomites ((Les habitants de Sodome)) se tapaient des anges, ce n’est point l’homosexualité qui est décriée, mais la nature abjecte du mélange des chairs humaines et angéliques :

Comme Sodome et Gomorrhe, et les villes d’alentour, s’étant abandonnées à la fornication de la même manière que ceux-là, et étant allées après une autre chair, sont là comme exemple, subissant la peine d’un feu éternel.
Epître de Jude, 1:7 (Version Derby)

Point de relations homosexuelles ici, les anges sont asexués. Et ce ne sont point des hommes qui obtinrent les faveurs de ces dégénérés, ils cédèrent aux charmes des femmes humaines :

Les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, et ils en prirent pour femmes parmi toutes celles qu’ils choisirent.
Génèse, 6:2 (Version Louis Segond 1910)

Non, de la bible, je ne retiens que ceci, de la bouche du type qui avait deux papas :

Je vous donne un commandement nouveau: Aimez-vous les uns les autres
Jean, 13:34 (Version Louis Segond 1910)

Que l’église catholique, apostolique et romaine cesse donc de pervertir la parole de son messie, et bénisse les unions de tous les êtres amoureux, indépendamment de leurs orientations sexuelles. Elle ne s’en portera que mieux.

 

Qu’en est-il des mariages gays au sein du clergé ?

Le judaïsme libéral américain accepte l’homosexualité chez les rabbins. Quelques rares imams se sont ouvertement déclarés homosexuels.
Rabbins comme imams ont le droit de se marier. Avec des femmes. ((Pas ensemble, dommage, le mariage d’un rabbin et d’un imam ferait un joli buzz.)) Lorsque le mariage religieux sera autorisé, il ne saurait y avoir distinction entre prêtres et laïcs : tous ceux ayant accès au mariage aujourd’hui restreint aux couples hétérosexuels auront demain accès au mariage élargi aux homosexuels. Dignitaires religieux compris.
Si l’homosexualité devient chez les rabbins et imams largement assumée, nous pouvons légitimement penser que le mariage n’est qu’un pont plus loin. Patience.

Les moines bouddhistes vivent en communauté. Selon leur tradition, il suffirait donc que deux d’entre eux proclament officiellement vivre ensemble pour que le mariage soit reconnu. Hélas, ce n’est pas si simple. Chasteté oblige, point de « vivre ensemble » chez les moines et nonnes bouddhistes. Et je crains que transiger avec leur chasteté soit presque aussi ardu que transiger avec celle des prêtres catholiques romains.

Car le problème est bien là : avant de pouvoir élargir le mariage des prêtres aux homosexuels, il faudrait qu’ils aient le droit de se marier.
Mais vous avez déjà beaucoup à méditer : je traiterai cette question dans un prochain billet.

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2 commentaires pour “Du mariage gay religieux”

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