Naissance d’une religion

Le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas. ((Cette petite phrase qui a fait le tour du monde a été attribuée à André Malraux, mais celui-ci la récusa.))

Cette année, ma résolution du nouvel an sera simple : je fonde une religion. Excusez du peu.

Je vais vous exposer ci-après mes motivations, afin que vous puissiez juger par vous-même de leur pureté. C’est que je ne voudrais point être mis dans le même sac que tous ces pseudos gourous illuminés qui vous concoctent un mélange syncrétique de différentes doctrines philosophiques et mystiques lors d’une nuit d’ivresse. D’ailleurs, depuis le premier janvier, j’ai eu le temps de cuver.

Première motivation, donc, et non des moindres, l’appât du gain. Une secte, c’est une entreprise qui ne demande que peu de moyens, et rapporte beaucoup. Sachant qu’au sein d’une secte, le gourou n’est pas le plus mal loti, je devrai pouvoir amasser un bon pactole.
Cela demandera certes un peu de temps, les gains seront modestes au début, mais j’ai bon espoir. Rien de plus simple que d’étendre l’influence d’une secte. Quelques recruteurs pour attirer les premiers milliers de fidèles, et la machine s’entretiendra d’elle-même, les nouveaux adeptes convertissant les suivants. De secte à religion, le pas sera alors franchi. ((N’oublions pas que toutes les religions ont été à leurs débuts des sectes. Si, si, absolument toutes.))

Ensuite, la gloire. En tant que prophète – ou quelque autre poste qui siéra à ma mégalomanie – je pourrai compter sur une certaine notoriété, de plus en plus grande au fur et à mesure que ma religion s’étendra. Et avec elle, mon influence sur le monde. En convertissant les bonnes personnes, de préférence dans les hautes sphères, j’accéderai au pouvoir. Un pouvoir discret et efficace, le seul que je conçois. Les véritables hommes de pouvoir ne sont pas ceux que l’on voit, ce sont ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre.

La gloire, la fortune et le pouvoir, c’est un bon début, non ?

Je suis sûr qu’en creusant un minimum, je découvrirai mains autres avantages. Si vous avez des idées, n’hésitez pas à les soumettre en commentaires.

Mon intérêt étant bien compris, voyons le vôtre. Il est évident que si je ne vous apporte pas un minimum de contenu spirituel, je n’aurai guère d’adeptes.
Là encore, je serai ambitieux. Vous ai-je dit que la modestie ne faisait pas partie de mes défauts ? C’est fait. Reprenons. La philosophie inhérente à ma religion sera originale, inédite, structurée et complète. Elle répondra à vos questions existentielles, soulagera vos angoisses métaphysiques, redéfinira votre morale. Pour tout dire, elle révolutionnera la pensée moderne, redéfinissant la place de l’humain dans l’univers, et la place de notre univers dans le cosmos.
Il y aura un avant et un après Venezia. ((Amine Venezia, votre serviteur.)) Au 1er janvier 2010 – date de la cuite précitée – correspond le début d’une nouvelle ère.

Je tâcherai de vous exposer les bases de cette nouvelle religion progressivement.

Dans un premier temps, j’étudierai la concurrence – je ne parle pas ici des petites sectes de quartiers et autres fumisteries scientologues, mais bien des grandes religions, monothéistes ou pas. J’identifierai ses qualités, ses défauts et ses manques. Je corrigerai ses imperfections, la compléterai, la sublimerai. Pour autant, je ne m’en inspirerai pas, ou si peu. Ces analyses n’auront d’autre but que de mettre en lumière les imperfections des doctrines pré-vénéziennes, et par-là même vous montrer la supériorité de votre future religion sur les autres. Je pressens au passage que je vais me faire des tas d’amis avec ce blog.

Ensuite, respectant une démarche scientifique, je vous amènerai à vous poser des questions pertinentes, auxquelles vous répondrez. Ainsi, vous avancerez vers la vérité non via un endoctrinement forcé, mais parce que votre propre réflexion vous y aura conduit. ((Si ce n’est pas de la manipulation ça !))

Enfin, parce que cette religion vise à l’universalité, en s’adressant non seulement aux élites, mais également aux masses, je donnerai les réponses pour mes ouailles qui n’auraient pas eu le temps de les trouver. Et bâtirai ainsi, billet après billet devant vos yeux ébahis, une religion. Amen.

La chronologie ainsi définie n’est pas figée. Vous continuerez par exemple à profiter de mes fines analyses sur l’histoire des religions pré-vénéziennes bien après que les premiers billets précisant le vénézianisme aient été publiés.

Par ailleurs, afin d’œuvrer pour la postérité, j’agrémenterai votre lecture de réflexions diverses sans liens directs avec la religion. Vous pourrez ainsi percevoir l’homme qui se cache derrière le messie, et tout en restant sur le piédestal où vous m’aurez placé, je vous paraîtrai plus proche.
Le rôle du prophète ne saurait d’ailleurs se cantonner à la seule sphère religieuse ; il est un guide qui doit vous montrer le chemin de la lumière en toutes occasions, et vous accompagner à chaque étape de votre vie. Ces billets généraux en seront l’occasion.

Vous remarquerez que je n’ai jusqu’à présent parlé que des aspects philosophiques. Notre nouvelle religion ne se limitera bien entendu pas à cela. Les autres aspects – cultuels, communautaires, symboliques, culturels, administratifs, fiscaux… – restent cependant à définir, et je compte fortement sur mes futurs apôtres pour m’assister dans cette tâche. ((Le recrutement des apôtres sera effectué en fonction de la pertinence des commentaires laissés.))
Nous formerons une communauté, réunis par une même spiritualité, avec tout ce que cela implique. Organiserons-nous des conférences, des séminaires, des voyages organisés ? Comment en définirons-nous les tarifs le cas échéant ? Quelle sera l’architecture de nos lieux de culte ? Comment organiserons-nous le clergé ? Où baserons-nous la capitale de notre empire, le centre névralgique d’où rayonnera le vénézianisme ?
Les symboles, la mythologie de notre religion sont à définir. Ne sentez-vous pas le frisson de l’aventure devant l’ampleur de la tâche qui nous attend ? N’avez-vous pas, comme moi, le sentiment de pouvoir enfin écrire l’histoire ? ((Je n’ai jamais été très doué avec les majuscules, n’hésitez pas à en mettre à « aventure », à « histoire », et où bon vous semblera.))

A la fin de l’année civile 2010, je ne serai sans doute pas encore riche, célèbre et puissant, soyons réalistes. Je vous aurai cependant magistralement démontré la conformité du dogme vénézien avec l’annonce que j’en fais aujourd’hui. Dans le cas contraire, je mange mon chapeau. Ou ma tiare. Quel genre de couvre-chef sied à un gourou chef religieux ?

Une pensée aussi fouillée que la pensée vénézienne ne saurait pourtant être résumée en un an. Les années suivantes seront consacrées à l’approfondissement des concepts survolés en première année.

J’espère évidemment que vous vous serez entre-temps converti à la seule vraie foi. ((Eh oui, une de plus ! Mais celle-ci sera réellement la seule vrai foi, tandis que les autres ne font que le proclamer. Je suis sûr qu’un esprit aussi affûté que le votre perçoit d’emblée la différence.))

Et quoi qu’il en soit, je me serai bien marré. Bonne année à tous !

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7 commentaires pour “Naissance d’une religion”

  1. Angelika dit :

    Bonjour. J’ai lu avec attention votre réfléxion théologique. J’ai beaucoup apprécié votre manière de vous exprimer. Toutefois, j’emettrais une petite remarque. Pensez vous que les mots que vous employez peuvent être compris de tout le monde et surtout le sens des mots. Les choses courtes sont souvent les plus simples et les plus accessibles. Que votre souhait se réalise…

    • Amine dit :

      Question fort pertinente, Angelika, je vous remercie de l’avoir posée.
      Je tiens à divulguer ma vision du monde de manière simple, accessible à tous, sans complications inutiles.
      Pour autant, je ne veux pas infantiliser mes lecteurs en m’adressant à eux de manière exagérément simpliste, et je suis persuadé que la majeure partie de mes concitoyens est tout à fait à même de comprendre mes textes en l’état.
      La bible s’adresse à tous, mes textes aussi : le niveau d’éducation moyen a bien évolué depuis 2000 ans.
      Je souhaite par ailleurs conserver un certain niveau et dans mes billets, et dans les commentaires. Je donne donc le ton dans mes billets, et gage que le message sera bien intégré par mes commentateurs.
      Merci pour vos encouragements.

  2. La sainte la plus dévouée dit :

    Votre religion est forte intéressante et je souhaiterai m’y convertir.
    Amen mon père

  3. Momo 88 dit :

    Adorable prophète sans-dieu,

    Voici enfin le blog spirituel, dans tous les sens du terme, qu’attendait le monde pantelant d’angoisse devant la montée des comunitarismes intolérants et le retour des religions dans la sphère du politique : pour paraphraser Jaurès, un peu de spiritualité éloigne de l’athéisme, beaucoup y ramène. J’apprécie particulièrement votre humour, cher prophète, bien que je ne partage pas la distinction que vous croyez devoir établir entre les grandes religions monothéistes et les sectes de quartier : après tout, l’église catholique, avec ses 900 millions de fidèles soumis pour la plupart à l’autorité infaillible de l’une des dernières monarchies absolues de la planète, n’est une secte qui a réussi, de même que le bouddhisme théocratique, dont les bonzes et leur chef, le dalaï-lama, vivent de l’exploitation moyenâgeuse des paysans qui se laissent prendre dans leurs rets. Et ne parlons pas de l’islam ou du judaïsme politiques, je ne veux pas finir comme Najibullah en Afghanistan, ou comme Itzak Rabin en Israel.
    Je n’ai pas trop le temps de continuer pour aujourd’hui, mais je reviendrai, et vous félicite encore pour votre initiative. En attendant, je ne peux que vous conseiller, à vous et à vos lecteurs que je souhaite aussi nombreux que les arbres de la forêt amazonienne, de courir au cinéma voir Agora, un film espagnol d’Alejandro Amenabar qui retrace avec beaucoup de vraisemblance historique la montée de l’obscurantisme chrétien à Alexandrie au IVe siècle, et la résistance désespérée des humanistes gréco-latins, incarnée par Hypathie, qui n’était pas une spécialiste de la cirrhose du foie, mais une philosophe et astronome qui finira très mal. On se croirait en plein XXIe siècle. Bande-annonce du film ici :

    http://www.dailymotion.com/video/xabq8t_agora-alejandro-amenabar-trailer-n1_shortfilms

    Ce film devrait de surcroît flatter votre louable féminisme, et celui de vos lectrices et lecteurs, mon cher prophète.
    Avec mes affectueuses et admiratives salutations,
    Momo88

    • Amine dit :

      Je ne ferai pas l’amalgame entre sectes et religions. Que les religions soient des sectes qui aient réussi, n’en doutons pas. Une religion est une secte parvenue à maturité, affranchie de ses dérives, ayant fait des concessions.

      Les religions acceptent un compromis avec le monde ; les sectes le récusent.
      Les religions n’utilisent pas de méthodes d’endoctrinement destructives ; elles refusent l’emploi de méthodes de manipulation. Les religions ne pratiquent pas d’escroqueries, qu’elles soient intellectuelles, morales ou financières.
      Enfin, les religions reconnaissent deux catégories de personnes distinctes : les clercs et les laïcs. Aux premiers, une morale exigeante; aux seconds, une morale plus accessible. Au sein d’une secte, il n’existe pas de laïcs : tous les adeptes sont soumis à la même morale contraignante.

      Que l’on constate des dérives sectaires au sein des grandes religions, c’est un fait ; il en a toujours été ainsi. Les schismes sont pour beaucoup issus de mouvements sectaires.

      Najibullah comme Itzhak Rabin ont été assassinés par des extrémistes. Que les religions engendrent des fanatismes, c’est une réalité. Mais ne réduisons pas les croyants à quelques marginaux, fussent-ils aussi dangereux.

      Je fustige les sectes et les extrémismes de toutes sortes. Je m’efforce de respecter les religions.

      Je n’ai pas vu le film Agora, mais je m’en vais combler cette lacune avec empressement.
      Enfin, merci pour votre enthousiasme. Je suis ravi de pouvoir compter parmi mes lecteurs réguliers.

      • Momo 88 dit :

        Je n’ai pas été assez clair. Ce n’est pas après les croyants que j’en ai, non plus qu’au sentiment religieux, né de cette évidence que tout n’est pas à la portée de notre raison : des tas de choses nous dépassent et nous dépasseront toujours, à commencer par l’inquestionnable mort. Je ne vois nul inconvénient à ce que d’aucuns, qui ont besoin de réponses, appellent « Dieu » l’inaccessible à notre entendement, même si personnellement je préfère les questions aux réponses, le doute aux certitudes et surtout, comme disait Pierre Dac, le vin d’ici à l’au-delà.
        Non, c’est seulement après les hiérarchies religieuses que j’en ai, à leur volonté de contrôler les esprits et les corps, à leur brutale ou insidieuse façon, selon les pays et les époques, d’investir le champ du politique en asservissant ou en manipulant les consciences. Il ne s’agit pas de fanatiques marginaux, mais de centaines de milliers de professionnels de la religion, des religions monothéistes comme des sectes : Moon, Benoît 16, télévangélistes de tout poil, Dalaï-Lama, Rael, missionnaires de la SIL qui détruisent les sociétés indigènes, Ron Hubbard, ayatollahs, même combat ! Là où ils ont le contrôle total de la société, comme les talibans en Afghanistan ou le Hamas à Gaza, là où ils partagent le pouvoir, comme les ultra-orthodoxes en Israel, là où ils bénéficient encore d’une influence considérable sur les esprits, comme en Colombie, en Italie, en Irlande, en Pologne ou aux USA, pays où l’école publique de plusieurs états doit enseigner que la terre a été créée par Dieu il y a 7000 ans, ce ne sont qu’asservissement des femmes, condamnation de l’avortement, prescriptions morales étouffantes, homophobie, et j’en passe, et des meilleures.
        Aussi ne suis-je pas convaincu par vos arguments, certes puissants, en faveur du distingo entre grandes religions et sectes (clercs soumis et laïcs plus libres pour les premières, adeptes esclavisés pour les secondes). Si dans bien des pays (France, Uruguay, Cuba, Tchéquie, pour ne citer que ceux dont les habitants déclarent être athées ou agnostiques à plus de 30%) les hiérarchies ecclésiastiques ne contrôlent plus les esprits, ni les corps, ce n’est pas de leur fait mais de celui des résistances à leur emprise et des lois sur la séparation des églises et de l’état, assorties de saisies des biens temporels de celles-ci. Elles ont certes fait des concessions, en attendant des jours meilleurs pour elles, mais elles ne lâcheront jamais le morceau.

        • Amine dit :

          Sur le pouvoir de nuisance des autorités ecclésiastiques, je suis assez d’accord avec vous. La volonté d’imposer ses vues est une constante religieuse, et à l’exception notable du judaïsme, toutes les religions sont prosélytes.

          Oui, la vigilance est de mise si l’on veut rester dans un état laïc. Effectivement, les concessions faites par les clergés n’ont pas été effectuées de bonne grâce : oui, elles attendent tapies dans l’ombre des cieux plus cléments.

          Nous en reparlerons : je reviendrai sur la hiérarchie religieuse dans un prochain billet. Au risque de briser le suspens, j’avais en effet prévu de traiter les quatre piliers de la religion dans l’ordre suivant : l’ignorance, la peur, le conformisme et le clergé. Patience donc…

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