Souviens-toi que tu es né poussière et que tu redeviendras poussière

Autres temps, autres moeurs : retrouvons notre chamane où nous l’avions laissé. Puisqu’il risque de devenir un personnage récurrent, nous l’appellerons Ismaël. C’est joli Ismaël. Il se trouve, tout à fait par hasard, que c’est également mon second prénom. ((Si, pour vous amuser, vous épelez mes initiales après avoir pris soin d’inversez l’ordre de mes deux prénoms, et pour peu que vous soyez un tantinet mystique, vous comprendrez en quoi ma vocation était écrite – et accessoirement, l’une des origines probables de ma mégalomanie.))

Ismaël, donc, constatant que les explications fumeuses qu’il donnait à ses congénères sur le monde et ses origines, associées à son charisme naturel, lui permettaient d’asseoir son ascendant sur eux, se dit que cela était bel et bon, mais que ce n’était pas assez. Il lui fallait trouver de nouveaux facteurs d’aliénation afin d’affirmer plus fermement encore son autorité sur ses semblables.
Observant leurs réactions dans différentes situations, il ne fut pas long à pointer un fait notable : ils étaient craintifs devant ce qu’ils ne contrôlaient pas. Il se les remémora sous l’orage, apeurés par la situation présente, inquiets de la situation à venir. Il les voyait souffrir lorsqu’ils étaient malades, cherchant désespérément du réconfort. Il constatait leur appréhension avant d’aller défier l’aurochs, ne sachant comment se déroulerait la chasse. Pour toutes ces situations, il aurait des remèdes : les dieux les lui fourniraient.
Il n’avait jusqu’à présent joué que sur leur ignorance : il jouerait désormais également sur leur peur.
Les dieux étant anthropomorphisés, il apparaissait normal de pouvoir communiquer avec eux. Hélas, ils savent se faire discrets. Ismaël imagina donc une forme de communication quelque peu particulière : nous nous adresserions aux dieux par la prière, et ceux-ci nous répondraient en exauçant nos demandes, ou pas, la volonté divine étant inaccessible au profane.
Prions pour guérir de cette maladie qui menace de nous terrasser. Prions pour que la chasse soit bonne, et que nous en revenions entiers. Prions pour que l’accouchement du petit dernier se déroule bien et sans trop de douleurs. Si nous sommes exaucés, c’est que les dieux ont entendu notre appel et y ont répondu favorablement. Sinon, c’est qu’ils ne nous ont pas entendus, ou qu’ils n’avaient pas envie de nous satisfaire. Leurs avions-nous déplu ? Les offrandes firent leur apparition, de même que quelques autres concepts destinés à satisfaire leur volonté présumée. Tâchant de vivre conformément aux souhaits des dieux, nous sommes devenus superstitieux.
Nous implorions les dieux à tout propos : nos peurs étaient nombreuses.

Il est cependant une peur qui domine toutes les autres, la peur première, la mère de toutes les peurs : la peur de la mort. La mort, insondable, inéluctable, qui frappe chacun tôt ou tard, aveuglément. La peur du plus grand inconnu qui soit.
Heureusement, Ismaël nous rassura. Il nous parla de l’essence de notre être, l’âme, ce qu’il reste de nous lorsque le superflu, notre corps, nous a été ôté. Les dieux avaient tout prévu, y compris la survie à notre enveloppe charnelle de notre âme immortelle. Peu importe le moyen, réincarnation, esprit errant ou enfer, l’important était de savoir que nous ne disparaîtrions pas irrémédiablement.
En jouant sur cette peur-là, en soulevant le linceul qui obscurcissait notre horizon temporel pour nous permettre d’entrevoir l’au-delà, Ismaël nous aliéna plus sûrement qu’aucun esclavagiste n’aurait pu en rêver. Ce fût là son chef-d’oeuvre.

De l’eau a coulé sous les ponts. Les peurs usuelles se sont éteintes avec la superstition. L’incertitude de l’avenir continue de susciter quelques craintes, mais n’engendre plus les mêmes ferveurs religieuses qu’autrefois.
La mort pour sa part perpétue son lot de fantasmes et de terreurs, qui demeurent à mon sens le vecteur de religiosité le plus puissant qui soit.
Je ne veux pas mourir, et donc je me convaincs, je crois, j’espère. Quitte parfois à en oublier de vivre.

Assez !
Votre vie est précieuse, infiniment précieuse : vous n’en avez qu’une et elle est éphémère. Ne la gâchez pas en tentant de la vivre selon les préceptes supposés – mais contraignants – d’hypothétiques dieux, dans l’espoir d’une « autre » vie, cette dernière ne viendra pas.

Votre vie est bornée : elle commence avec l’éveil de votre conscience, ((Je ne saurai situer cet événement avec précision, mais je peux vous donner une fourchette : il se situe quelque part entre votre conception et votre naissance.)) et se termine par votre mort.
Vous souvenez-vous comment c’était avant cet éveil ? Ce sera exactement ainsi après votre mort. ((A cette seule différence près : vous aurez vécu.)) Le néant.
Pourquoi voudriez-vous qu’il en soit autrement ? Même en observant les faits d’un oeil mystique, force est de constater que votre âme insufflée par les dieux est née, a été créée, est donc issue du néant. ((Il s’agit là de la vision que je prête au mystique, en aucun cas de la mienne. Pour un matérialiste comme pour Lavoisier, tout est affaire de transformation. La matière s’organise pour créer la conscience, et sa réorganisation la fait disparaître, de la même manière que je crée un cercle en le dessinant avec un crayon sur une feuille de papier, et le détruit en le gommant.)) L’instant d’avant, elle n’était pas, l’instant d’après, elle est, et vous ne le contestez point. Sauf si vous êtes bouddhiste, mais c’est une autre histoire. ((Je reviendrai sur la provenance et le devenir de l’âme réincarnée dans un prochain billet.))
J’affirme que ce qui a un début à une fin. Votre vie ayant débuté, elle se terminera. Ce n’est pas triste : c’est ce qui lui donne sa valeur. Ne vous laissez pas tenter par l’illusion de l’immortalité. Ailleurs tous vos regards, ailleurs toutes vos larmes : aimez ce que jamais on ne verra deux fois. Votre vie est précieuse car unique et irremplaçable.
La conscience de votre mortalité est un atout considérable. Vous pouvez ainsi en jouir au mieux, sans risque de la gaspiller – où en la gaspillant en toute connaissance de cause.

Sachez utiliser au mieux ce laps de temps qui vous est offert. Votre vie est ce que vous en faites. Nul ne lui a donné un sens prédéterminé, c’est à vous d’en déterminer le sens. Soyez bâtisseur, intellectuel, artiste, épicurien ou incorrigible fainéant. Profitez au mieux de ce que la vie vous offre, adonnez-vous à vos passions. Si vous prenez votre pied en étudiant des palimpsestes – comme je vous comprends – je ne peux que vos encourager à le faire. Si collectionner les timbres est votre marotte, faites-vous plaisir !
Jouissez à chaque instant des bonheurs simples qui jalonnent votre chemin. Vous êtes l’acteur principal de votre vie : soignez votre rôle. Au pire, soyez simplement heureux d’être vivant.
Soyez un génie ou un doux cinglé, peu me chaut, ((A tout prendre, j’ai malgré tout une préférence pour le génie.)) du moment que cela vous sied.
Si votre foi vous apporte le bonheur, ce que je conçois, tant mieux. Mais de grâce, ne vous rendez pas malheureux en espérant que ce malheur sera la clé de l’éternité. Certains se flagellent pour se punir d’avoir éprouvé un plaisir fugace qu’ils imaginent réprouvé par un grand barbu que nul n’a jamais vu. Ne soyez pas de ceux-là. C’est dans cette vie que vous devez vous épanouir. Si vous pensez ne pas pouvoir y parvenir sans recours à la croyance, croyez. Mais réalisez vos rêves dans cette vie. Vous n’en aurez pas d’autre.

Si la mortalité vous pèse, réalisez des oeuvres qui vous survivront. Enfants, tableaux, symphonies, théorèmes, écrits, pensées, les chemins menant à l’immortalité sont multiples. Immortalité illusoire et relative ? Je vous l’accorde. Vos oeuvres seront la mémoire de ce que vous fûtes. Mémoires éphémères, comme toutes choses en ce monde ; elles perpétueront votre souvenir un temps, puis s’éteindront à leur tour.

Je ne vois pourtant pas en quoi la mortalité serait un poids. La mort n’est pas qu’une fatalité, elle est une chance. Oh, bien sûr, la vie est toujours trop courte. Mais l’éternité, vous imaginez ? Ce n’est pas une sinécure, c’est une torture. Même avec soixante-dix houris, ce doit être d’un pénible à la longue ! Même à la droite du créateur je suis certain que l’on finit par être gagné d’un ennui… mortel. Et si, comme moi, en tant qu’infidèle, vous êtes voués à rôtir tristement sur une broche… Je suis sûr d’être très vite lassé.
Non, croyez-moi ((A ceux qui me chercheraient des perles, il s’agit là d’une simple figure de rhétorique.)), la mort est une délivrance. Et là où le bouddhiste est condamné à vivre d’innombrables existences avant de pouvoir prétendre au nirvāna, l’athée y accède dès son premier essai. Quelle chance !

Classé dans : Religions | Mots-clés : , , , , , , , , ,

Un commentaire pour “Souviens-toi que tu es né poussière et que tu redeviendras poussière”

  1. merlin dit :

    Toutes les religions du monde sont vouées à leur disparition. Elles ont répandues trop de mensonges et fausses conceptions afin de contrôler nos pensées. Les femmes n’ont fait que subir une mise au placard.
    A la place naîtra une nouvelle communauté de croyants basée sur le véritable enseignement du Christ qui aura été découvert. Nul ne pourra y participé avec des titres de prêtre, évêque, cardinal, imam etc.
    Car nul ne sera autorisé à prendre de l’ascension sur qui que ce soit et les femmes seront l’égal de l’homme comme le voulait Jésus-Christ.
    Lorsque le Pape Jean-Paul 2 a déclaré que l’église ne peut ordonner des femmes prêtres et que cette décision doit être définitive, ce n’est personne d’autre que le Prince de ce monde qui a agit au travers de lui. cette décision est scandaleuse et outrage une fois de plus les femmes.
    Quand à Saint Tomas d’Aquin, il déclara que l’homme est supérieur à la femme parce qu’il a été créé en premier. La bible doit se lire avec un état de conscience supérieur pour comprendre et ainsi l’on s’aperçoit que Dieu a créé la Femme et l’homme en même temps pas une fraction de seconde l’un ou l’autre avant ou après.

Répondre à merlin

Subscribe without commenting